Je suis assis à Thessalonique, il est bientôt 19h et je vais peut-être me décider à sortir pour la première fois depuis ce midi. Quand je me sédentarise, la chaleur est encore plus accablante qu’à vélo, mais à vélo la fatigue vient également beaucoup plus vite et plus fort. Il va falloir que je change mes habitudes si je veux continuer à rouler.
À plusieurs endroits de Thessalonique il y a de grands ventilateurs, des brumisateurs et des fontaines. La température extérieure à l’ombre est de plus de 30 degrés. Difficile de faire autre chose que de dormir sauf à risquer l’insolation, comme je l’ai appris (une énième fois) à mes dépens.
Une fois entré en Grèce depuis la Macédoine, comme j’étais encore en avance sur mon rendez-vous turc, je suis descendu vers les Météores. On m’en avait parlé en me disant que ça valait le détour (de 3 jours en vélo). C’est vrai.
Le trajet est l’occasion de me rendre compte que j’ai beau me dire que s’il fait chaud je me mettrai à l’ombre, encore faut-il en trouver. Or, après la frontière, il n’y a sur ma route pendant de longs kilomètres que des arbustes épars sous lesquels il n’y a pas assez de place pour s’allonger. Je traverse un grand plateau sur un petit chemin de terre et me repose dans une ancienne école, mise à disposition par le maire du petit village de Xirolimni. La nature ici n’a que deux couleurs à sa palette : le jaune de l’herbe qui répond à celui du soleil et le bleu du ciel, qui se sont mélangés pour donner leur couleur à ces arbustes.
Bien reposé le lendemain, je me mets en route pour le camping de Vrachos, au pied des Météores. Le spectacle est à la hauteur de mes attentes.
Sur le camping, je rencontre Johan, un Allemand qui me demande si j’arrive de la TCR. La quoi ? La Trans Continental Race. C’est une course cycliste en autonomie, qui part (cette année) de Belgique pour arriver aux Météores. Les participants doivent passer par 6 points dans différents pays et pour le reste sont libres de choisir leur itinéraire. Quand j’arrive, le premier concurrent est arrivé après avoir parcouru 3400 kilomètres en 220 heures. Durant ces 220 heures, il en a dormi 40. Je ne sais pas comment il fait. Peut-être que je devrais appuyer un peu plus sur les pédales.
Avant d’arriver aux Météores, dans un Lidl, j’avais croisé un cycliste longue distance et lui avait adressé un « Hi ! » confraternel. Il m’avait vaguement répondu et était parti sur-le-champ. J’ai compris plus tard qu’il était l’un des concurrents et était sans doute dans un état second au moment de notre rencontre. Je l’ai recroisé dans un autre Lidl, celui au pied des Météores, quelques heures plus tard. Il ne s’était pas encore changé (évidemment on ne se change pas pendant cette course, pas le temps) et errait entre les rayons sans savoir exactement lui-même ce qu’il faisait là.
Tout cela m’a excité la testostérone et je décide de rejoindre la mer dès le lendemain, malgré les quelques 150 kilomètres qui m’en séparent. Après tout, s’ils en font 350 par jour, je peux bien en faire moitié moins. Et comme on m’a dit que le chemin plat était ennuyeux, je prendrai celui qui passe près du sommet de la Grèce, là où les dieux résident, le mont Olympe.
On est le 11 août, il est 9h du matin, je pars avec 1h30 de retard sur mon plan, mais je suis confiant. La route est plus difficile que je ne le pensais, le dénivelé se fait ressentir et l’assurance que j’avais hier ne se traduit pas par un surplus d’énergie. Sous la chaleur le plus dur est de rester hydraté et de garder la cadence, sinon on se retrouve vite à ne pas avancer sans vraiment s’en rendre compte.
À midi, je m’arrête dans le café d’un petit village où personne ne parle anglais mais réussis à obtenir une assiette de schnitzel (plat typique) et à échanger quelques mots amicaux avec les habitués du café. C’est sympa, les gens sont toujours agréables, où que l’on aille. Une fois mes gourdes et mon ventre remplis, je me remets en route, plein d’une volonté renouvelée.
Au détour d’un virage, un automobiliste s’arrête pour me faire don d’une bouteille d’eau fraîche après avoir bavardé un peu. Elle ne sera pas de trop. Dans la journée, je vais boire au moins 6 litres d’eau.
Plus loin, dans une côte, des chiens se mettent à m’aboyer dessus. J’ai pris l’habitude, ils sont attachés, ça va, je peux même les narguer un peu. Mais d’un coup, je sens une présence derrière moi et quand je me retourne, vois un molosse qui arrive en courant. Ses intentions sont assez claires : ses babines moussent, ses gencives sont découvertes et ses crocs sont saillants. Quel joli toutou. Je hais les chiens. J’appuie sur les pédales. Je suis déjà fatigué mais je donne tout ce que j’ai. C’est en pente, mes cuisses brûlent, mon cœur palpite à toute allure… Ce n’est que parce qu’il abandonne que mes mollets ne sont pas marqués. Je suis complètement épuisé par cette course. J’espère qu’il n’y en pas un autre plus loin, je ne pourrai pas recommencer. Je m’arme d’un caillou qui finira par tomber de mon guidon directement sur mon tibia.
Il me reste la moitié du chemin à faire. Haut les cœurs. Il ne faut pas croire, je garde le moral. Le mont Olympe est à portée, je vois le massif devant moi, plus que quelques kilomètres.
En haut du col, que je passe en ne cessant de me dire que c’est le dernier avant Istanbul, j’ai fait 100 kilomètres. Il m’en reste 50 pour arriver au niveau de la mer. De la descente. Je pourrais rester là- haut, il y a de la place pour camper, mais je préfère mettre les pieds dans l’eau et trouver une douche.
Mais avec tous ces kilomètres dans les jambes, ceux qui restent sont doublement difficiles. Quand j’arrive finalement au camping, beaucoup plus tard que je ne l’imaginais, je suis épuisé, au bord du gouffre émotionnel suite à l’effort et ne demande qu’à dormir. C’est la gardienne du camping qui après m’avoir donné quelques gâteaux à manger me convainc d’aller en ville (2 kilomètres, une distance qui me semble énorme) pour me rassasier et me refaire une santé. C’était sans doute la journée la plus physiquement difficile depuis mon départ. Plus longue distance couverte et troisième plus grand dénivelé. J’approche peut-être les limites de mes capacités physiques actuelles.
Le lendemain, ce n’est « que du plat » jusqu’à Thessalonique, mais la chaleur et la fatigue de la veille me rendent le voyage plus difficile et long que prévu. Pour me reposer, je resterai 2 jours à Thessalonique, à ne rien faire.
De là, mon seul plan est de filer droit et de m’arrêter dans tout lieu qui me semblerait propice au délassement. Il y a 600 et quelques kilomètres d’ici à Istanbul, de la ligne droite et aucun col majeur à passer.
Le premier jour (mercredi 15), je compte m’arrêter un peu après Asprovalta et faire du camping sauvage. C’est interdit en Grèce mais très répandu sur la côte. Finalement, je roule plus que prévu sans vraiment m’en rendre compte et me retrouve à un endroit où il n’y a plus de quoi manger ou alors c’est fermé – 15 août oblige, cela m’avait complètement échappé. Je continue quelques kilomètres et finis par trouver un restaurant ouvert. À la vue des prix je décide de passer mon chemin, mais une serveuse me demande combien je suis prêt à payer et finit par me proposer un slouvaki (une brochette de porc) à ce prix. Deal. Après le dîner, quand je lui demande si elle sait où je pourrais poser ma tente pour la nuit, elle m’offre de squatter la pelouse du restaurant, qui donne sur une plage. J’accepte avec d’autant plus de plaisir que la nuit tombe. Encore mieux que le camping sauvage.
Le deuxième jour, la route est assez monotone mais égayée par de nombreuses cigognes ainsi que des hérons et pélicans, tous vivant en colonies. Je finis par m’arrêter dans un camping, avec bon espoir de me baigner et, qui sait, de rester un ou deux jours. Quand je mets le pied à l’eau, après avoir marché une centaine de mètres dans la mer, celle-ci m’arrive toujours aux genoux : pas l’endroit idéal pour se baigner.
Le lendemain, je suis suffisamment loin à l’est pour que ce soit ma dernière journée en Grèce. Je longe plus ou moins la côte et ne m’en éloigne que pour passer de petits cols. Je vois défiler des champs d’oliviers, d’amandiers, de tournesols et de coton. Les villages sont rares et ceux avec épicerie, boulangerie ou restaurant encore plus, j’organise mes arrêts en fonction de cela et de la chaleur.
La monotonie est rompue à quelques kilomètres de ma destination (Alexandroupoli), alors que j’ai parcouru près de 8000 kilomètres : pour la première fois, une crevaison. Mes pneus ont très bien tenu jusqu’à présent, ils ont connu toutes les conditions imaginables et ne m’ont jamais trahi (sauf à perdre leur adhérence dans un virage détrempé…). Là, ce sont des épines dans le flanc de mon pneu avant qui en ont raison. Je dois réparer sur le bord de route. Le tube de colle que j’ai pris est vide. Mes rustines autocollantes défaillent. Ma seule chambre de rechange est une presta et non une schrader… Tout va mal… Heureusement, j’ai triplement prévu et j’ai d’autres types de rustines qui font l’affaire. Une demi-heure à réparer, les mains pleines de cambouis, l’entreprise ne m’apparaît pas comme un problème mais comme une nouvelle activité.
À Alexandroupoli, je cherche un vélociste ouvert et finis par en trouver un qui m’offre une chambre à air, des rustines et de la colle comme « contribution à mon voyage ». C’est un petit geste, mais un qui me fait tellement plaisir !
Le lendemain matin, mon pneu est dégonflé d’une deuxième fuite. Il faut réparer à nouveau. Plus tard dans la journée, alors que je serai déjà en Turquie, inquiet de la faible pression de mon pneu arrière, je le démonterai et trouverai une troisième fuite. Trois crevaisons, en 24 heures, sans doute toutes attrapées au même endroit, c’est sur cette note que je dis au revoir à la Grèce.
Le trajet
Mercredi 8 Août
Total climbing: 1066 m
Jeudi 9 Août
Total climbing: 1448 m
Vendredi 10 Août
Total climbing: 128 m
Samedi 11 Août
Total climbing: 2315 m
Dimanche 12 Août
Pas de trace de trace sur mon GPS – Katerini – Thessalonique
Lundi 13 Août
Repos
Mardi 14 Août
Repos
Mercredi 15 Août
Total climbing: 683 m
Jeudi 16 Août
Pas de trace de trace sur mon GPS. La distance entre le 15 et le 17.
Vendredi 17 Août
Total climbing: 1097 m